Les Triades






Prologue

En cette cinquante-cinquième année de la Nouvelle Glièse, on peut dire que tout va bien pour nous. En fait, notre vie est si pleine de confiance que nous faisons des enfants à tour de bras ! Les Homo suPermanens que nous sommes devenus ne sont plus limités par la règle des « dix ans entre deux grossesses1 » et la natalité a explosé : nous comptons désormais quatre cent vingt-cinq individus et la population augmente de façon exponentielle. Tous les nouveaux enfants de Glièse naissent suPermanens. Je suis l’un de ces enfants et je me nomme Angel. C’est moi qui vous raconterai la suite de notre histoire. Je suis la fille d’Hermès – donc la petite-fille d’Adam et Hannah – et de Daphné, une native des premières heures de Glièse. J’ai très vite montré des dispositions pour la communication et la diplomatie ; ma mère est neuropsychologue et mon père… estil encore besoin de le présenter. C’est en conséquence tout naturellement que je suis devenue la messagère entre les humains et les deux IA créées par les Anciens : le Gardien – que nous appelons Memoriae – et le Veilleur. Je travaille donc dans la quatrième branche du Muséum avec mon père qui reste en charge de la mémoire collective de notre peuple. Ce travail de liaison permanente est 1 Voir tome 1 1

Prologue

énorme et me comble : j’assure la bonne entente au sein des

Gliésiens, entre le Conseil et les IA, je collecte les données que Coré nous ramène deux fois par an de son séjour dans les abysses, et vous verrez que j’aurai été bien occupée durant toutes ces années. Mais avant de vous conter nos aventures, faisons un petit retour dans le passé : un an après que nous ayons déjoué la tentative d’invasion d’Ad Vitam2 – le temps de nous remettre de nos émotions – il nous fallut adopter des mesures préventives afin qu’un tel événement ne se reproduise pas. Nous avions, à l’époque, prévenu les Terriens qu’ils ne devaient plus jamais rien tenter contre nous. Mais nous étions bien conscients que notre victoire pouvait tout aussi bien exacerber leur désir de vengeance. Aussi, le Conseil décida qu’il serait judicieux de prendre les devants en installant une base militaire permanente de surveillance rapprochée. Retour donc en l’an 26 lorsque Hannah et Adam se sont envolés pour un périple de plusieurs décennies à bord des vaisseaux que nous avions conquis de haute lutte… 2 Voir tome 2 2

énorme et me comble : j’assure la bonne entente au sein des

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Je ne suis née que quelques années plus tard. Et pourtant – forte de la mémoire héritée génétiquement de mes parents – je m’en souviens comme si je l’avais vécu… Nous avions vaincu. L’expédition punitive d’Ad Vitam avait tourné court. Supérieurs en nombre, armés jusqu’aux dents, ils s’étaient crus invincibles, et pourtant nous les avions repoussés. Exterminés, même, au sens littéral du terme, car pas un d’entre eux n’en avait réchappé. Nous avions désossé leurs canons pour les utiliser comme foreuses et comme générateurs d’énergie portatifs, mais nous avions gardé leurs vaisseaux de combat, du moins les deux qui avaient survécu à la bataille. Rachid et Hannah eurent tôt fait de les remettre en état et nous nous demandions quel usage nous allions en faire. C’est Alioune qui en eut l’idée : — Nous espérons tous que la Terre aura raisonnablement compris le message et ne tentera pas de nouvelle invasion. Mais nous savons tous que Ad Vitam n’est en rien composé de gens raisonnables. Je propose que nous organisions une surveillance rapprochée de leurs activités afin de sécuriser l’espace entre eux et nous. Puisque nous avons deux vaisseaux militaires, ils peuvent nous servir à cela. 3

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— Je soutiens ta proposition, dit Hannah. Organisons une

force d’interposition. L’idéal serait de créer un avant-poste sur l’axe Terre - Glièse. Sa mission serait la surveillance permanente de leurs mouvements. Adam, tu as fait trois fois le trajet entre nos deux mondes, et tu as passé cent ans à étudier la cartographie de la galaxie. Quel système vois-tu correspondre le mieux à l’emplacement d’une telle base ? — Ægir, répondit-il sans hésiter. Le système d’Epsilon Eridani. C’est à dix années-lumière de la Terre, presque dans l’axe, trente années-lumière d’ici. — Tu es sûr ? demanda Hermès ; Ægir est une géante gazeuse, non ? — On n’a jamais dit qu’on allait s’y poser, répondit Adam. Juste y stationner en orbite haute ou sur un de ses satellites. — Oui, enchaîna Alioune, l’idée n’est pas d’y fonder une colonie. Qu’est-ce qu’on irait faire dans un endroit pareil ? Ad Vitam ne s’attendra d’ailleurs pas à ce qu’on y soit. Un bon point pour nous. — Certes, dit Hannah, mais il y a le problème du ravitaillement ! Il nous faudra bien de l’eau et de la nourriture. — Pour l’eau, pas de problème, dit Adam : il y a tout ce qu’il faut sur place. L’eau est présente dans les anneaux d’Ægir, en grande quantité, et au moins deux de ses satellites ont d’épaisses croûtes de glace d’eau, comme Europe et Encelade dans le système terrien. — Quant aux silicates et aluminosilicates dont nous nous nourrissons, dit Abel, nous pouvons prévoir d’importants 4

— Je soutiens ta proposition, dit Hannah. Organisons une

stocks à emmener en reprenant la formule de mon père. Il est

d’ailleurs fort possible qu’on en trouve sur place ; sinon, on organisera des navettes de ravitaillement. — Dit comme ça, ça a l’air jouable, dit Hannah. Risqué mais jouable. On mettra aux voix lors du prochain Conseil et, si l’action est approuvée, on recrutera une équipe de volontaires. Rien ne presse. Nous étions par ailleurs très occupés à la reconstruction de nos infrastructures externes. Ce n’est pas que nous étions à l’étroit dans la première branche du Muséum – comment se sentir à l’étroit dans un bâtiment aussi grand – ni en danger puisqu’il était indestructible. Non. Nous avions besoin de prendre notre indépendance vis-à-vis des IA. Durant la guerre, elles s’étaient montrées extrêmement efficaces, solidaires de notre sort. Mais le projet du Veilleur – auquel participait Coré dans la cité des Anciens – était le nôtre sans l’être vraiment. Redonner vie à Glièse… n’étions-nous pas vivants ? Après tout, qu’avions-nous vraiment à y gagner ? Glièse était parfaite pour nous telle qu’elle était. Nous étions parfaitement d’accord pour y participer, mais ce n’était pas notre projet. Il nous en fallait un autre. Rien qu’à nous. Alors nous avions décidé de bâtir une civilisation à part, totalement autonome. Les IA comprirent très bien pourquoi nous le voulions et, loin de nous en dissuader, nous y encouragèrent : 5

stocks à emmener en reprenant la formule de mon père. Il est

— Les Humains ne sont pas les Anciens, dit le Veilleur. Il

est donc tout à fait légitime qu’ils fondent leur propre civilisation. Cela ne va pas à l’encontre de ma mission tant que vous n’interférez pas avec son bon déroulement. — Les Anciens vous ont fait don du Muséum et m’y ont installé pour vous guider dans son exploitation, dit Memoriae. C’est donc qu’ils ont prévu que vous pourriez disposer de ses ressources à votre entière convenance. Nous avons donc entrepris de reconstruire notre village. En mieux, bien sûr. Nous savions désormais comment bâtir en augmentant l’interaction forte au sein des noyaux atomiques, et donc rendre nos bâtiments aussi solides que le Muséum luimême. Thesaurus Insula – le seul et gigantesque continent de Glièse – se trouve en majeure partie du côté perpétuellement tourné vers le soleil ; mais sa côte sud est du côté obscur. Notre village se trouve maintenant à la lisière entre ombre et lumière : nous pouvons à nouveau profiter de nuits quand bon nous semble. C’est très agréable de retrouver des sensations nocturnes pour certaines activités ! Mais non… pas ça… enfin si, aussi… mais pas que ça : par exemple, nous y avons construit un magnifique théâtre en plein air, réplique presque parfaite de celui d’Épidaure, en plus… gliésien ! Pourquoi celui d’Épidaure en particulier ? Pour son acoustique ! Sur une planète sans atmosphère, me direz-vous ? 6

— Les Humains ne sont pas les Anciens, dit le Veilleur. Il

— Et alors, avait répliqué Hannah, n’est-on pas justement

en train d’envisager de lui en redonner une, d’atmosphère ? Comme ça, ce sera déjà prêt ! Comme toujours, les répliques d’Hannah sont imparables. Son enthousiasme et sa détermination aussi. Le Conseil approuva la mission sur Ægir. Dix volontaires furent tirés au sort ; pas le choix : près du tiers de la population s’était déclarée prête à entreprendre le voyage. Nous sommes devenus très bravaches depuis que nous sommes des Homo suPermanens. Adam se proposa pour conduire la mission à bon port et – contre toute attente – Hannah ne s’y opposa pas : — Adam est effectivement le mieux placé pour nous emmener : il connaît les étoiles comme personne ; il est donc le meilleur cartographe sidéral que nous ayons. — Vrai ? Je peux y aller ? demanda Adam, incrédule. — Tu as dit « nous emmener », intervint Alioune. Est-ce à dire que tu envisages de nous quitter aussi ? — Chéri, répondit-elle sans tenir compte de l’interruption, tu ne crois tout de même pas que je vais te laisser conduire cette mission tout seul, si ? Évidemment que j’y vais ! Adam pilotera, moi je dirigerai. — Ça me va, dit Adam. C’est même encore mieux. Et puis moi non plus je ne veux pas te lâcher… les enfants sont grands… faisons notre vie ! — Mais… et nous, dit Alioune, tu nous abandonnes ? 7

— Et alors, avait répliqué Hannah, n’est-on pas justement



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